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Nouvel Obs - 5/03/2009

"Fillon connaît manifestement mal son sujet"

Dans une "mise au point" rendue publique mercredi, l'Académie nationale de médecine note que "les antennes de téléphonie mobile entraînent une exposition aux champs électromagnétiques 100 à 100.000 fois plus faible que les téléphones portables : être exposé pendant 24 heures à une antenne à 1 volt par mètre donne la même exposition de la tête que de téléphoner avec un portable pendant 30 secondes". Elle s'étonne de la décision de la cour d'appel de Versailles. Qu'en pensez-vous ?

- Je suis très étonné et m’interroge sur l’intérêt soudain de l’Académie de médecine sur le problème des antennes relais, en ces temps difficiles pour les opérateurs. Il est très simple de démontrer que ces médecins, qui ne reflètent pas l’opinion des médecins en général, ne connaissent pas vraiment le sujet et que leur "mise au point" repose sur une erreur d’appréciation manifeste.
Il suffit pour s’en convaincre de consulter le rapport Zmirou, auquel collaborait Monsieur Veyret, directeur du comité scientifique de la société Bouygues Telecom. En voici un extrait particulièrement édifiant établissant l’existence de risque pour la santé : "A tous les niveaux de l’organisme, il a été montré que les champs électromagnétiques produisent des effets biologiques, qui peuvent être nocifs pour la santé. Les fonctions de base, qui contrôlent la croissance et la prolifération cellulaire, la surveillance immunitaire et la protection vis à vis des toxines, sont diversement altérées, souvent à des niveaux d’exposition rencontrés dans l’environnement. Les études humaines et animales montrent une relation entre l’exposition dans certaines conditions et le cancer. Le problème majeur avec la technologie téléphonique est son expansion rapide de par le monde et l’évidence émergente de tumeurs du cerveau."
Par ailleurs, contrairement à ce qu’indique l’Académie de médecine, les antennes relais utilisent des extrêmement basses fréquences. Et je les mets au défi de démontrer le contraire. Or, ces extrêmement basses fréquences ont été classées potentiellement cancérigènes par l’OMS en 2002.
C’est précisément ce qui différencie ces ondes de celles de la télé ou de la radio, outre le fait qu’elles sont pulsées.
Enfin je souhaite attirer l’attention de l’Académie de médecine sur le fait que ces décisions de justice ont été prises après de longs débats au cours desquels les opérateurs n’ont pas manqué de faire valoir leurs arguments. Or, à la lecture des pièces que nous avons produit, les magistrats ont considéré que les arguments de la société Bouygues Telecom devaient être écartés.
Pour conclure, je tenais à souligner que l'Académie de médecine n'a jamais émis la moindre remarque sur les dangers de l'amiante avant 1996, date de son interdiction. Je pense donc que tant pour l'amiante que pour la téléphonie mobile sa position est plus conforme aux intérêts des industriels que des citoyens.
François Fillon souhaite, dans la lettre de mission de la table ronde consacrée aux "radiofréquences, santé et environnement", que soit faite la distinction entre téléphone et antenne. Il partirait du principe que "l'hypothèse d'un risque pour la santé" des riverains d'antennes "ne peut être retenue en l'état actuel des connaissances scientifiques". Qu'attendez-vous dans ce cas de la table ronde organisée par le ministère ?

- La distinction opérée par M. Fillon quant à l’absence de risque sanitaire pour les riverains d’antennes relais n’est pas plus fondée que la position de l’Académie de médecine. Le Premier ministre connaît manifestement mal le sujet et l'on peut se demander qui lui procure ses sources.
Par ailleurs, je suis particulièrement choqué que le Premier ministre se permette de commenter trois décisions de justice, toutes prises à l’issue des délibérations de trois juges, en affirmant que ces magistrats se trompent. Je n’attends rien de la table ronde puisque nous avons déjà été conviés au secrétariat d’Etat à l’Economie numérique au lendemain de la décision du TGI de Nanterre et le gouvernement n’avait aucune proposition concrète à nous faire sinon de lancer un appel d’offres pour qu’une société privée soit chargée d’établir un comparatif des normes adoptées en Europe, mesure aussi inutile que couteuse.
Enfin, de toute évidence, comment espérer que l’on règlera le problème de santé lié aux antennes relais si l’état et les opérateurs affirment qu’il n’y a pas de problème? Cette table ronde est une mystification destinée à faire croire aux citoyens français que l’Etat se préoccupe de leurs inquiétudes. La vérité est que l’Etat se préoccupe quasi exclusivement des intérêts des opérateurs et ne fait rien pour appliquer le principe de précaution, qui, je le rappelle, n’a pas été inscrit dans la Constitution par la volonté d'associations comme Robin des Toits, mais à la demande de toute la classe politique française.

Depuis la décision de Versailles sur le démontage d'une antenne Bouygues, une autre décision de justice est intervenue dans ce sens dans le Vaucluse. Sur quoi se basent ces deux jugements ?

- Ces deux jugements se basent sur une très importante documentation fournie par les avocats des riverains, extraite principalement des rapports officiels nationaux et internationaux, de l’ANFR, des sites des opérateurs, de l’AFOM. A la lumière de ces documents, les juges ont retenu l’existence d’une controverse scientifique légitime, sérieuse, raisonnable quant à l’existence de risques pour la santé induits par les ondes émises par les antennes relais et les téléphones portables, contrairement à ce que soutenaient les opérateurs. La bataille fut âpre et ces décisions sont très motivées. Preuve que les magistrats ont beaucoup réfléchi et travaillé pour prendre ces décisions qui sont très courageuses. En d’autres termes, les juges ont choisi de pallier l’inaction des politiques et, sous couvert du trouble anormal du voisinage, ils ont fait application du principe de précaution.

Interview de Me Richard Forget par Christophe Gueugneau 

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