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Le MOnde - 3/06/2006

A "Ginette", il n’est pas conseillé de dénoncer le bizutage


Un jeune enseignant de Sainte-Geneviève, prestigieux lycée versaillais privé sous contrat, a dénoncé, mercredi 31 mai, à l’occasion d’une conférence de presse, le "harcèlement" dont il aurait été l’objet de la part de sa direction après avoir porté plainte contre X..., le 3 juin 2005, pour une affaire de bizutage dans son établissement. S’estimant victime de pressions et d’intimidations visant à lui faire quitter le lycée, Mathieu Savin, professeur agrégé de mathématiques, a également porté plainte, le 12 avril, pour "harcèlement moral" contre la directrice de l’établissement.

Le recteur de l’académie de Versailles l’a prévenu, par un courrier du 5 mai, qu’il allait devoir quitter le lycée où il enseigne depuis la rentrée 2001. "Cette demande (de la directrice) est motivée plus particulièrement par votre comportement général qui contrevient au respect du caractère propre de l’établissement, écrit le recteur. De même, votre manque de devoir de réserve en utilisant et publiant des documents internes confidentiels a constitué, pour la directrice, une atteinte grave à la confiance qu’elle accorde à tous les personnels de son établissement."

La direction diocésaine ne voulant plus de cet enseignant, il devrait être affecté "dans un lycée public de l’académie où il y a des classes préparatoires, afin que cela ne nuise pas à sa carrière", assure l’entourage du recteur.

Les faits dénoncés par M. Savin remontent à septembre 2004. Chaque année, la rentrée des classes préparatoires de "Ginette", surnom de Sainte-Geneviève, est précédée d’une semaine d’intégration, destinée à l’accueil des nouveaux arrivants. Ceux-ci auraient fait l’objet, durant cette période, d’humiliations, d’insultes et de brimades de la part des élèves de deuxième année.

D’abord informé par des conversations en salle des professeurs, M. Savin a alerté la direction, dans un courrier du 19 novembre 2004, lui rappelant "l’obligation de signaler des faits délictueux à la justice". "La directrice m’a alors convoqué, m’accusant de réagir à des rumeurs, explique l’enseignant. Pour dissiper ces rumeurs, un jésuite a demandé à la directrice de me remettre les fiches d’évaluation remplies par les élèves à la suite de leur semaine d’intégration."

La lecture de ces questionnaires n’a fait que conforter M. Savin dans sa conviction. Certains de ces témoignages évoquent "les repas pris debout en silence, dans le noir, passés à servir les TVA (très valeureux anciens)", le fait de "manger en trente secondes ou en une minute", "de devoir impérativement ne pas regarder les 5/2 (redoublants de deuxième année) dans les yeux"...

"DES SANCTIONS"

Au cours des veillées, des nouveaux se sont vus proposer "des défis à connotation sexuelle", explique M. Savin dans sa plainte, reprenant les récits des élèves : "Lécher un poster porno ou le torse d’un garçon de notre classe était pénible" ; "Les étreintes un peu poussées dans les piaules avec la poupée gonflable des 3/2 (élèves de deuxième année) " ; "Je n’ai pas du tout apprécié la première veillée que j’ai trouvée trop violente psychologiquement" ; "C’était dur de voir les pleurs de certains".

La directrice de l’établissement, Isabel Jubin, n’a pas voulu faire de commentaires sur les procédures en cours. Elle considère toutefois que M. Savin n’a "plus sa place dans l’école, compte tenu de l’ambiance qu’il a créée". Elle affirme que, lors de la semaine d’intégration de la rentrée 2004, "3 % des activités" n’avaient "pas eu l’aval" de l’équipe de direction : "Nous les avons réprouvées et des sanctions ont été prises à l’interne." Cette année, la direction a "repris les procédures à zéro", ajoute-t-elle, et la semaine d’intégration "s’est bien passée".

Dans un communiqué publié mercredi 31 mai, des enseignants de Sainte-Geneviève ont exprimé leur désaccord avec M. Savin. Ils "s’indignent une nouvelle fois de l’attitude de leur collègue qui, pour des raisons personnelles, accapare les médias et dénigre l’école à laquelle il prétend être attaché". Ils "s’estiment calomniés par les propos de Mathieu Savin et surtout par sa démarche volontairement solitaire qui semble vouloir accréditer l’idée selon laquelle régnerait dans cette école on ne sait quelle loi du silence ou encore on ne sait quelle forme de complicité honteuse avec des actes délictueux" [5].

En ce qui concerne la plainte pour bizutage, l’enquête préliminaire pourrait se poursuivre au moins jusqu’à l’automne. Par ailleurs, l’inspecteur académique des Yvelines devrait se rendre à Sainte-Geneviève pour s’assurer du bon déroulement de la prochaine rentrée de septembre.

Une Dépêche de l’Education du 31 mai 2006 comportait quelques précisions supplémentaires :
Contacté par l’AFP, la directrice du lycée Sainte-Geneviève, Isabel Jubin, a déclaré que "le bizutage a été supprimé dans l’école en 1994" et que "des dérapages ont été constatés en 2004 mais aussitôt sanctionnés". "Cet enseignant joue cavalier seul et il a attendu neuf mois pour déposer sa plainte pour bizutage", a ajouté Mme Jubin. Aucune plainte d’élève ou d’enseignant n’a été associée à celle de Mathieu Savin, l’enseignant.

Selon son avocat, Me Richard Forget, et selon une source judiciaire, la plainte pour bizutage déposée par Mathieu Savin a conduit en octobre 2005 à l’ouverture d’une enquête préliminaire au tribunal de Versailles, sans suites pour l’instant.
"On tente d’étouffer l’affaire sur ce lycée d’élite car on garde l’enquête au stade préliminaire et nous ne sommes informés de rien du tout", a déclaré à l’AFP Me Forget.


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